Jack McClelland a officié pendant 15 ans en tant que directeur de tournoi aux WSOP et de quelques uns des plus grands évênements de part le monde. En 2003, sa femme décède tragiquement d'une longue maladie et Jack s'éloigne du poker. Mais l'amour du jeu est le plus fort et l'homme, hautement estimé par le milieu du poker pro, décide de revenir sur la scène poker en tant que directeur des tournois du Bellagio.
Stu Ungar, le boom du poker, Internet, les cartes incrustées à la télévision, Jack a tout vu et vécu tous les bouleversements de ces dernières années. Il nous raconte :
Vous qui êtes là depuis 35 ans, que pensez-vous du poker d’aujourd’hui ?
Le monde du poker aujourd’hui est immense, de part l’influence constante des médias, du jeu Online et des programmes télévisés. Pendant des années, les WSOP n’ont pas été ce qu’ils étaient car ils n’étaient pas filmés comme il le fallait. Mais tout a changé quand le WPT a proposé aux spectateurs d’enfin pouvoir voir les cartes des joueurs. Puis Internet est arrivé, permettant aux joueurs de jouer de chez eux et Chris Moneymaker a gagné le Main Event comme d’autres gagnent à la loterie. Ca a été une véritable tornade et l'homme, alors surendetté, est devenu une vraie star du jour au lendemain. Mais malheureusement, en 2006, la loi sur le poker (UIGEA) a été créée, mettant un sérieux coup de frein à la progression du poker aux USA. Je n’ai qu’un souhait : que cette loi soit modifiée et que le poker puisse reprendre l'expansion qu'il mérite.
Qu'en est-il du niveau actuel des joueurs de poker ?
Les jeunes joueurs sont juste incroyablement brillants. L’an passé, Yevgueniy Timoshenko a remporté le WPT du Bellagio à 21 ans. Les deux derniers Main Event ont été remporté par des joueurs étant tout juste majeurs eux aussi. Même s’ils n’ont pu jouer beaucoup en live avant, ils jouent probablement depuis qu’ils ont 16 ou 18 ans Online. Ceci qui expliquant cela. Sans parler du fait qu'à cet âge là, on a peur de rien.
De plus, ils ont la chance de ne pas connaitre les périodes noires qu’on connus des joueurs comme Scotty Nguyen, Men Nguyen, Carlos Mortensen ou bien d’autres, qui sont sur le circuit depuis au moins dix ou vingt ans et qui ont connu la gloire puis l’enfer de ne plus rien gagner sur de longues périodes. Quand on a la chance de n’avoir jamais connu ça, on se sent invincible. On arrive sur le circuit et on gagne tout de suite, sans avoir à galérer pour être sponsorisé ou connaitre des vides de plusieurs années. Et ça, ça donne une très grande force.
Vous jouez online ?
En tournoi live, je joue une demi-douzaine de tournois par an ; des tournois aux WSOP (j’ai d’ailleurs fait l'argent au "Senior’s Event"). Mais je n’ai plus le temps. Et Online, je joue très peu. Car après avoir travaillé huit ou dix heures par jour au Bellagio, je n’ai aucune envie de recommencer devant mon écran d’ordinateur une fois chez moi ! Du coup, sur Internet, j’apprécie jouer pas longtemps des petites parties en cash, histoire de rester au courant de l’évolution perpétuelle du jeu.

Un sourire élégant et une poigne de fer
Comment se passe votre journée au Bellagio ?
Quatre fois par an, nous organisons une belle série de tournois dans la Fontana Room. Et en tant que directeur de tournoi principal, je suis dans ces périodes là comme un médecin de garde. Je me dois d’être joignable 24/24 et 7/7. Nous faisons en sorte que la salle soit prête avant midi, heure de début des tournois, puis, à 13h, je m’assure que la table finale du tournoi de la veille est installée elle aussi. Enfin, vers 19h, nous lançons le tournoi du soir. Ce qui fait trois événements en moyenne à surveiller tous les jours.
Dans ces moments là, je suis le Monsieur Loyal d'un Bellagio qui devient un grand cirque [rires]. Chaque tournoi se gère individuellement avec son circuit bien rodé de dealers et de floormen et moi, je m’assure que ces espaces différents ne s’entrechoquent pas et que tout s’y passe au mieux. Mais de façon générale, je surveille surtout le déroulement des tables finales, quand les joueurs sont les plus tendus et que les situations peuvent être plus sensibles.
Cela semble demander beaucoup d'energie !
C’est un métier exigeant, c’est vrai mais une période de tournoi est tellement excitante et riche en émotions que je n’ai pas de mal à me lever le matin !
Qu'en est-il des décisions difficiles à prendre ?
Dans la plupart des cas, il est facile de se mettre à la place des joueurs et de comprendre ce qui se passe de l’intérieur pour arriver à gérer les soucis. Mais le pire des cas est d’arriver à la table, de demander au croupier ce qui s’est passé et qu’il vous réponde : "Je ne sais pas." Là, c’est difficile. Je me souviens qu’il y a plusieurs années, on avait organisé notre premier tournoi de Omaha Hi-Lo aux WSOP. Et ce qui était dingue, c’était que ni les croupiers ni les joueurs ne connaissaient vraiment le jeu. Je vous laisse imaginer… J’ai du avoir 200 coups dans lesquels intervenir cette journée-là alors que c’était à moi aussi mon premier tournoi de Omaha HiLo !
Sinon, les cas les plus difficiles, c’est quand le joueur se comporte mal et franchit la ligne rouge. Parce que, étant moi-même joueur, j’ai de la compassion pour eux. Je les comprends. Parfois, ils jouent tout ce qu’ils ont, c’est leur dernière chance ou dans d'autres cas, ils se battent comme des fous pour tenter de décrocher un petit satellite qui compte beaucoup pour eux ; ils sont souvent à fleur de peau et peuvent facilement s’emporter.
Mais ils doivent apprendre à se maitriser et se comporter en gentlemen. Parce que pour les croupiers, c’est également terrible de se faire insulter. J’utilise donc un système de pénalité en fonction de l’attitude du joueur : 10, 20 voire 30 minutes d’exclusion de la table. Je me souviens avoir été obligé de sanctionner Men Nguyen lors d’un heads-up aux WSOP en l’empêchant de jouer pendant 20 minutes. Quand il avait jeté ses cartes au visage du croupier une première fois, je lui avais donné un avertissement et quand il a recommencé, j’ai dû le punir. Ca lui a probablement couté le tournoi et j’ai détesté avoir eu à prendre cette décision mais il faut obliger les joueurs à respecter les règles. Comme on dit, on ne laisse pas les fous diriger l’asile. [rires]

Jack aime également s'assoir à la table : l'occasion de se tenir au courant des dernières techniques et des envies des joueurs
Et les rêgles, faut-il les appliquer à la lettre (by the book) ?
Je fais ce métier depuis plus de 35 ans et une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais écrit de livre de règles sur le poker, c’est parce qu’elles changent tout le temps et qu’elles s’adaptent en permanence à l’évolution du jeu et aux situations. De plus, il faut prendre en compte l’avis des joueurs. Il ne faut pas oublier que je suis seul et qu’ils sont des dizaines de milliers ! Les joueurs me suggèrent souvent de faire tel ou tel ajustement sur une règle et souvent, je les écoute.
Par exemple, il y avait une règle qui autorisait un joueur à montrer une de ses deux cartes à son adversaire après le coup pour le déstabiliser. Mais je n’aimais pas cette règle. J’ai donc décidé d’en instaurer une nouvelle, exigeant du joueur ayant montré une carte qu’il montre également la seconde. Mais les joueurs ont détesté ça et pendant deux ans, ils me l’ont bien fait comprendre. A chaque fois que j’essayais d’appliquer cette règle, j’avais le droit à des cris, des pleurs, des plaintes etc… [rires] J’ai donc fini par l’annuler. Mais je pense toujours que c’est une mauvaise règle.
De plus, nous avons instauré une nouvelle règle sur les jetons qui doivent franchir la ligne en cas de "all in". En effet, le cas était trop fréquent auparavant où un joueur annonçait oralement qu’il partait à tapis et qu’un joueur au bout de la table, n’ayant pas entendu, fasse une relance standard – perdant du coup les jetons engagés s’il ne payait pas le tapis-. Maintenant, les joueurs à tapis ont l’obligation de pousser leurs jetons derrière la ligne. C'est bien plus pratique et ça évite des erreurs.
Vous avez connu les grandes heures du Binion's, racontez-moi.
Je sais, je suis vieux… [rires] Il s’agissait de grands personnages, c’est sûr. Johnny Moss, quand il vous fixait de ses yeux perçants, ça vous glaçait le sang. Il contrôlait plus ou moins le Binion’s Horse Shoe et croyez-moi, vous aviez intérêt à être son ami plutôt que le contraire. Stu, il était très changeant. Une minute, tout allait bien et dans la seconde, il s’emballait et devenait hystérique. Mais c’était un génie à sa façon. Chip Reese était un joueur au contraire très solide, qui souriait tout le temps mais cherchait en permanence la meilleure façon de vous prendre tous vos jetons. De toute façon, le poker est un échantillon de la vraie vie : il y a les bons, les méchants, ceux qui méritent le respect, ceux qui ne le méritent pas etc…
Etes-vous nostalgique de cette époque et du fait que tout le monde se connaissait ?
Le truc avec le business c’est que tu te développes ou tu meurs. Pendant des années le poker a stagné, avec une centaine, voire 200 joueurs chaque année aux WSOP. Tout a changé depuis et je ne peux que m’en réjouir et être fier d’avoir moi aussi participé à ma façon à cette explosion. Mais c’est vrai que j’ai de bons souvenirs à l’époque, oui. On était comme une famille...

Jack a gardé de bons souvenirs de l'époque. Et ce qu'il y a de bien, c'est qu'il n'a pas gardé sa moustache...
Que pensez-vous des joueurs français ?
Leur niveau est clairement supérieur à la moyenne des gens qui viennent jouer à Vegas. En même temps, force est d'admettre que si un joueur vient jouer un tournoi à 15h d’avion de chez lui, c’est généralement qu’il sait ce qu’il fait ! En tout cas, le pourcentage de joueurs français qui s’inscrivent dans un tournoi et le pourcentage d’entre eux qui entrent dans l’argent est très élevé. Je ne pourrais pas vous dire quels sont les meilleurs, bien sûr, mais je sais que Bruno "The King" Fitoussi (sic), Fabrice Soulier, Antony Lellouche, Paul Testud sont très bons. Et je sais que j’en oublie des tonnes !
Comment voyez-vous l'avenir du poker ?
Du moment que la télévision et Internet soutiendront le marché du poker, tout ira bien. Si les gens continuent à aimer regarder du poker à la télévision, ça continuera sur sa lancée. Mais le vrai problème, et ce qui nous inquiète tous, c’est la loi sur le poker qui fait que de plus en plus de joueurs américains partent jouer à l’étranger, en Europe, au Moyen Orient ou en Asie [ndlr : les sites de jeu Online ne peuvent inscrire directement un joueur à un tournoi aux USA ; ils envoient l'argent du package s'il y a une qualification mais c'est au joueur de réussir à sortir l'argent par des combines puis de s'inscrire tout seul, reserver l'hotel, etc. Si la loi est modifiée, il y aura beaucoup plus de joueurs dans les tournois américains car de nombreux participants seront issus du Online). J’espère donc que le gouvernement va se ressaisir et prendre la bonne décision pour soutenir l’industrie du poker. Il faut que le poker soit régulé et taxé. Et que les joueurs du monde entier soient sur un pied d'égalité.
Si vous pouviez organiser le tournoi de vos rêves en dehors du Bellagio, il serait où ?
J’adore le Bellagio, sous tous les points de vue : le cadre, le personnel etc… Mais, étant originaire d’Ohio, un état où il fait d’ailleurs très froid, j’adorerais organiser un énorme tournoi là-bas. Histoire de frimer dans ma ville natale [rires]
Que peut-on vous souhaiter dans les années à venir ?
La santé et un cerveau en bon état de marche, histoire de continuer à pouvoir faire face à ces satanés joueurs [rires]
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J'aurais cru être le seul à avoir cette vision sur ce boulot, et bien non!!!
ca me fait plaisir surtout concernant la règle de la carte dévoilée s'il n'y a pas abattage. Je suis entièrement d'accord avec toi Jack.
Merci madeinpoker de nous fournir toujours un contenu aussi pertinent.
Comme dirait un ami à moi: "longue vie et prospérité"