Ce tournoi est pour l’instant mon plus beau mais aussi mon pire souvenir poker…
Le mois dernier je finissais ma chronique à la veille du Day 2 du Main Event des WSOP. J’avais le double de la moyenne en jetons, mais la route était encore très longue. Jamais je ne me serais douté que mon aventure dans ce tournoi serait aussi palpitante. Dans un tournoi de poker « classique », on est content de passer la 1ere journée et si l’on passe la deuxième, on est souvent déjà en finale… Dans le Main Event en revanche, le rythme est plus proche de celui d’un marathon – la bulle éclatant le 4e jour -, il faut tenir, mentalement et physiquement malgré les très longues heures de jeu, les journées qui se succèdent, les nombreux mauvais coups perdus, le manque de sommeil et la tension qui monte, qui monte…
A la fin de chaque journée de jeu, difficile de se débrancher. Les coups joués défilent devant les yeux, qu’ils soient fermés ou non. Pas facile d’être détendu au restaurant et de papoter avec ses amis quand nous ne sommes plus qu’une centaine en course et que l’immense Amazon Room se vide petit à petit pour ne plus laisser qu’une dizaine de tables au fond de la pièce.
J’ai eu quelques coups clés, comme c’est toujours le cas, qui ont fait basculer mon tournoi : deux coups assez chanceux au début contre un jeune compatriote, Nicolas Ragot. Sur l’une de ces mains, j’aurai même pu être éliminé si mon tirage couleur n’était pas rentré à la river, mais ce sera la seule fois du tournoi où j’engagerais tout mon tapis… Par la suite, et ce, jusqu’au 7e jour du tournoi, j’ai toujours eu suffisamment de chips pour ne pas avoir à me mettre trop en danger en ne jouant que de petits coups pour augmenter progressivement mon stack. L’excellente structure de l’évènement permettant en effet d’être patient, d’amortir les coups perdus et de ne pas avoir à prendre de trop gros risques trop rapidement.

David et moi, observant l'écran d'info pendant la bulle du Main
Le 14 juillet, 7e jour de tournoi, alors que nous ne sommes plus qu’une cinquantaine, un joueur avec un niveau incroyablement faible à ce stade du Main (on se demandait tous à table, à chacun de ses coups mal joués : « Mais comment a-t-il pu arriver jusqu’ici ? ») pousse son tapis de 1,2 millions de jetons en middle position sur des blinds 25 000/50 000 ante 5 000! J’ouvre une paire de rois de petite blind, c’est ma première main de la journée, je pars à tapis pour 2,5 millions, Phil Ivey, de grosse blind, passe et le joueur me montre… une paire de 4. Première carte du flop : un 4 cauchemar. Ne me reste alors plus que 1,3 millions mais tout reste encore possible malgré mon statut de short stack. Je m’accroche, m’empêche de penser à ce bad beat et je pars à tapis avec une paire de 10 chez moi contre A-K en face. J’ai la main gagnante jusqu’au turn, mais un 8 de cœur meurtrier à la river donne une couleur à mon adversaire et je suis éliminé 49e…
Le moment où les jetons disparaissent en face de soi laisse un grand vide. On ne comprend pas tout de suite que l’aventure est terminée. Je salue mes adversaires, me lève, sonné, je suis les organisateurs pour récupérer mon ticket de gain, entends mon nom au haut parleur et sors prendre l’air. Je n’ai même pas senti l’air chaud ni la température étouffante, j’ai juste senti des larmes couler sur mon visage ; toute la tension accumulée en sept journées de concentration intense et un mois et demi de jeu s’évacue en quelques minutes. J’étais inconsolable, tout comme mes amis qui y ont cru autant que moi.

A la table d'Ivey, au début du 7e jour
Au final, je suis très heureux de mon parcours mais je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour ce qui aurait pu se passer si j’avais gagné mon coup avec les rois. Le coup de carte qui a probablement changé une partie de ma vie. Une carte à la con qui fait la différence entre un gain correct – et un septième cash dans ces WSOP - et un gain « extraordinaire ». Mais d’un autre côté, j’ai vécu de très bons moments, comme le plaisir d’accumuler plein de jetons alors que j’étais à la table de Joe Sebok, après un petit rush fort sympathique qui m’a permis de gagner plein de petits coups et qui m’a offert le plaisir d’être assis devant une montagne de chips (plus de deux fois la moyenne) et de me sentir bien dans le plus grand tournoi du monde. Un vrai moment agréable. Mais qui ne dure jamais assez longtemps…
Il m’a fallu une semaine pour redescendre et arriver à me poser. Et le cadre magnifique du Royal à Evian-les-Bains, face au paisible Lac Leman, y a largement contribué - une prochaine très belle série de tournois cet automne à Evian est d’ailleurs annoncée -.
Je suis ensuite parti au Brésil pour de la détente pure pendant deux semaines, dans l’une des maisons d’un autre joueur de poker, Pascal Perrault, au bord de la mer et me voilà de retour pour recommencer à jouer, en attaquant la saison par Cannes et son PPT. De nouveau prêt à attaquer sur des blinds 25/50 avec une confiance nouvelle en mon jeu et en ma façon de gérer les très gros évènements. Même s’il va me falloir attendre encore un an avant de pouvoir participer à nouveau au plus beau tournoi du monde…
A+ !
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