L’incroyable parcours de l’inventeur du poker
L’ascension de Benny Binion
Rien ne prédisposait Benny Binion à devenir une légende du poker, dont le nom restera éternellement accolé aux World Series Of Poker. Le jeune Benny naît à l'aubedu 20e siècle, en 1904, au fin fond du Texas, dans une modeste famille d'éleveur de chevaux.
Prétextant une santé fragile, son père le retire prématurément de l’école et lui permet de l’accompagner dans ses déplacements. Le grand air du Far-West sera bénéfique pour sa fragile constitution, mais Benny ne reprendra jamais sa scolarité. Dans son secteur d’activité pas besoin de cursus universitaire…
Il quitte le giron familial dès l’âge de 17 ans pour se rendre dans la charmante cité d’El Paso où il se lance avec un talent certain dans l’activité clandestine de distillateur d’alcool. Rapidement le jeune Binion devient fort connu des services de police, accumulant les inculpations de trafics d’alcool et d’armes et feu avec une régularité constante jusqu’en 1928. Il se reconvertit alors dans la mise en place de loteries semi-clandestines, discipline dans laquelle ses talents d’organisateur se révèlent. La loterie "Binion" devient la plus réputée de la ville, il faut préciser que Benny y met de la conviction…
Il sera inculpé deux fois de meurtre, en 1931 pour avoir éliminé un joueur nommé Franck Bolding dans le plus pur style "Western" ce qui lui vaudra son surnom de "Cowboy" (ainsi que deux ans de prison avec sursis) et en 1936 lorsqu’il utilise des méthodes radicales pour éliminer la concurrence, envoyant Ben Friend six pieds sous terre… Un bon avocat et des relations politiques bienvenues permettront à Binion de s’en tirer en plaidant la légitime défense.
Être un cowboy, c'est pour la vie...
Son dernier concurrent, Sam Murray, ayant lui aussi trépassé de mort violente en 1938 (Benny Binion est relâché faute de preuves suffisantes), le Texan est devenu le maître incontesté des loteries et des paris à Dallas. Il diversifie ensuite ses investissements dans d’autres villes du Texas, supprimant la concurrence avec son efficacité désormais légendaire. Il détiendra un lucratif monopole dans le sud du Texas jusqu’au début des années 50.
L’arrivée à Las Vegas Quelques litiges commerciaux avec ses associés siciliens l’ayant contraint à quitter très précipitamment Dallas en 1951, il pose ses valises à Las Vegas. Il y a déjà noué plusieurs alliances avec des casinos et connut une ascension fulgurante (son garde du corps est inculpé de meurtre), rachetant successivement le Las Vegas Club rebaptisé le "Westerner Gambling House and Salon" puis l’Eldorado Club et l’Apache Hôtel transformés et renommés le BINION’S HORSESHOE CASINO.
Le Horseshoe devient immédiatement un des établissements les plus courus de Sin City. Les limites maximales des jeux sont beaucoup plus élevées que dans les autres casinos et Binion sait accueillir les gros flambeurs, champagne, vieux whiskies, limousines à discrétion… L’argent et l’alcool coulent à flot, mais les menaces de mort aussi.
La première intrusion de Benny Binion dans l’univers du jeu tourne court. A la suite de quelques omissions comptables, il perd sa licence de jeux à la fin de l’année 1951 et doit ensuite purger pour fraude fiscale une peine de quatre années d’emprisonnement au pénitencier de Leavenworth, assortie d’une amende exorbitante de 5 millions de dollars qui le contraint à céder ses parts dans les casinos.
Benny Binion étant un homme avisé, sachant rebondir, il récupère progressivement le contrôle du Horseshoe et s’achète une conduite après sa sortie de prison. L’obtention d’une licence étant dorénavant inenvisageable, c’est son épouse Teddy Jane qui prendra officiellement les rênes, Benny intervenant uniquement en qualité de consultant... Agé de 53 ans et père de cinq enfants, dont Jack et Ted, le cowboy évitera par la suite les problèmes avec la justice, sans pour autant cesser de porter un colt à la ceinture…
Benny invente les championnats du monde de poker
En plus de son efficace sens des affaires, Benny Binion possédait un véritable talent pour le poker. Il y brillait avec régularité et les parties organisées par ses casinos, et notamment le Horseshoe, attiraient les meilleurs des rounders. En 1949, à la demande Nick Dandalos alias " the Greek", Binion organise une partie qui va devenir légendaire. Dandalos est un mythe dans l’ouest américain, certainement le plus gros flambeur existant, pour l’affronter Binion demande à un jeune joueur : Johnny Moss. Ainsi naitra la plus mythique des parties de poker, véritable championnat du monde et ancêtre des WSOP.
L’affrontement entre les deux légendes durera plusieurs mois, durant lesquels les deux hommes échangeront des millions de dollars sous les yeux captivés d’un public chaque jour plus nombreux. Quelques pauses émaillent la partie, Dandalos les utilise pour aller flamber au craps, tandis que Moss en profite pour se reposer et réfléchir à la meilleure stratégie. A la fin du cinquième mois, alors que Johnny Moss a pris un avantage substantiel, estimé entre 2 et 4 millions de dollars, The Greek se lève, s’incline et prononce cette phrase devenue légendaire : "Mr Moss, I have to let you go" (NDLR : Monsieur Moss, je dois vous laisser partir).
Le Cowboy est devenu respectable.
Le Horseshoe deviendra progressivement la plus populaire des poker rooms et Benny Binion l’ami des plus grands joueurs. A la fin des années 1960, Las Vegas est devenue la capitale du poker, les plus grands s’y affrontent. Doyle Brunson, Amarillo Slim, Puggy Pearson, Benny Roberts et bien sur Johnny Moss s’y disputent la suprématie et des centaines de milliers de dollars. Ayant toujours dans sa mémoire l’affrontement entre Moss et Dandalos et son succès auprès du public, Binion a alors une idée géniale, il décide d’organiser un tournoi entre les meilleurs. Il l’appellera les WORLD SERIES OF POKER.
En 1970, il réunit les six meilleurs joueurs mondiaux pour disputer un tournoi de cash game haute limite à l’issue duquel les participants sont conviés à élire le meilleur d’entre eux. Ce sera Johnny Moss. Progressivement les WSOP grossiront en affluence, notoriété et nombres d’events pour devenir la gigantesque série de tournois disputées sur sept semaines que nous connaissons aujourd’hui.
A partir des années 60, Benny Binion disparaîtra des chroniques judiciaires, gérant tranquillement son casino et la réussite croissante des WSOP jusqu’à sa mort le 25 décembre 1985. Le cowboy visionnaire, aux méthodes parfois expéditives, s’est pourtant trompé sur un point, lorsqu’en 1973 anticipant le succès des WSOP, il annonce que son tournoi atteindra un jour le chiffre record de 50 participants… En 2006 le main event en a regroupé 8 773. Benny Binion fut introduit dans le Hall of Fame en 1990, avec pour épitaphe cette formule d’Amarillo Slim : "He was either the gentlest bad guy or the baddest good guy you'd ever seen" !
La chute de l’empire Binion
Si Benny Binion a su se tenir tranquille dans la seconde partie de son existence, ses descendants ont entretenu le mythe familial avec fureur et violence.
Jack l’ainé s’est certes avéré un gestionnaire avisé, développant le groupe Binion avec talent jusqu’en 1998 avant de laisser les rênes de l’entreprise familiale à sa sœur Becky après une fratricide bataille juridique. En 2006 il devient le PDG respecté du groupe Wynn.
Jack Binion (deuxième en partant de la droite), entouré de Moss, Slim et Pearson.
Mais contrairement à Jack, Ted et Becky n’ont pas connu la même réussite dans la gestion de leur existence et de l’empire hérité. Ted Binion, un garçon intellectuellement brillant, devait subir un kidnapping traumatisant avant de connaître de dangereuses addictions à la drogue qui lui firent perdre sa licence de jeu et le contraignirent à s’éloigner du Horseshoe. Les circonstances de sa mort tragique en septembre 1998 demeurent inexpliquées. Sa compagne Sandy Murphy et l’amant de celle-ci, Rick Tabish, furent jugés et condamnés pour le meurtre du cadet des Binion en 1999, à respectivement 22 et 25 ans de prison, avant qu’un nouveau procès n’ait lieu quatre ans plus tard, les innocentant au bénéfice du doute dans des conditions étranges.
Après le départ forcé de Jack en 1998, ce fut la plus jeune des filles de Benny Binion qui prit le relais. Aidée par son mari Nick Behnen, Becky Binion accumule les erreurs de gestion durant ses six années à la tête du Horseshoe. Alors que de gigantesques hôtels-casinos s’ouvrent sur le Strip, le Horseshoe est à l’abandon, les investissements nécessaires ne sont pas réalisés, la gestion du personnel est catastrophique et progressivement le casino perd son pouvoir de séduction et ses fidèles clients. L’issue est inéluctable, en 2004, en cessation de payement, le légendaire établissement est fermé. Quelques mois plus tard, le respectable groupe Harrah’s Entertainement Inc rachète la société Horseshoe Gaming et ses actifs, notamment le seul qui possède encore une véritable valeur : les World Series Of Poker.

L'héritage Binion, une statue et les WSOP...
100 ans après la naissance de Benny Binion, l’empire mythique constitué par cet atypique visionnaire disparaissait totalement, seule la géniale idée de celui-ci perdure aujourd’hui. Les WSOP demeurent l’événement-phare du poker mondial. Six pieds sous terre, le cowboy a du plusieurs fois se retourner dans sa tombe, avec une forte envie de revenir mettre un peu d’ordre dans tout ça ! Le colt au ceinturon évidemment…
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