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Poker et fashionistas


Stratégie
Par David Poulenard   
Mardi, 19 Octobre 2010 12:23

Pendant des décennies, la stratégie de base d'un poker gagnant se résumait à jouer dur et plutôt agressif. Le bon vieux style tight-agressif, popularisé par Dan Harrington, David Slansky et bien sur Doyle Brunson aussi bien avec Super System qu'autour des tapis verts, était le seul moyen reconnu de gagner de l'argent au poker et d'obtenir des résultats en tournoi. Progressivement les choses ont changé, d'abord avec l'apparition de joueurs dits créatifs (Jack Straus, Stu Ungar, Johnny Chan puis Daniel Negreanu, Gus Hansen) avant que tout s'accélère avec l'apparition sur le circuit de jeunes talents aussi audacieux qu'agressifs, à l'instar de Tom Dwan ou Ludovic Lacay, pour qui le 4-bet s'apparente à une religion...

Parallèlement les tournois voyaient leur field augmenter dans des proportions élevées. Dans les années 70, il était "relativement" aisé pour un joueur talentueux de remporter le Main Event des WSOP après avoir dominé une centaine d'adversaires en jouant TAG (Tight-Agressif) alors qu'aujourd'hui pour dominer 6 000 ou 7 000 rivaux il faut- outre l'indispensable réussite- déployer des trésors d'imigination pour récolter des jetons sans se contenter d'attendre les as ou les rois.

On voit donc fleurir depuis plusieurs années de nouvelles tactiques, aux appellations anglaises non-controlées, check-raise, three-barrels bluffs, New-York-Back-Raise, floating ou les indispensables 3-bet, 4-bet-light et maintenant 5-bet-light qui sont au poker ce que Gilette est au rasage ! Sans oublier la Fold Equity, Induce-a-Bluff et la stratégie Kill-Phil. La liste des néologismes anglophones est longue comme une journée à espérer les as dans un tournoi.

 

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Collection 2010 : style maniac

Il convient de se demander à quoi ressemblait le poker des pionniers, avaient-ils seulement le droit de bluffer ou même de relancer ? Il est vrai qu'il y a encore une cinquantaine d'années, le check-raise -cette tactique d'une banalité totale, maîtrisée par un joueur de poker en première année de gamble- était considérée comme déloyale et prohibée autour des tapis verts. Aujourd'hui tout joueur de poker talentueux se doit de maîtriser le check-raise à tapis en semi-bluff, ce qui prouve que les choses ont bien changé... La jeune génération des joueurs professionnels (ou ceux qui aimeraient le devenir) se gausse des plus anciens qui en sont encore à attendre d'avoir une main du top ten pour relancer ; pour eux Slansky est aussi démodé qu'un Teppaz à l'heure du MP3. Ont-ils raison ?

Pas forcément !

Sans remonter aux origines du jeu, il faut préciser que la grande majorité des tactiques employées aujourd'hui existait déjà il y a de nombreuses années. Les différences essentielles étant qu'elles étaient moins utilisées, restaient des actions rares maîtrisées par les meilleurs et surtout qu'elles n'étaient pas conceptualisées, même pas nommées. Quand nous jouions au poker fermé (je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans...) les joueurs expérimentés pratiquaient le squeeze dès que l'occasion s'en présentait. Lorsqu'un joueur relançait et qu'un ou deux adversaires suivaient sans afficher une force particulière, nous placions une conséquente sur-relance et annoncions "servi" avant de pousser une bonne pile de jetons au milieu (avec une petite variante qui consistait à changer une carte avec un tirage). Pratiquée à bon escient et pas trop souvent, cette bonne vieille ruse permettait souvent de récolter quelques liasses de billets. Nous étions cependant loin d'imaginer que nous étions en train de presser quoique ce soit et qu'un jour un nom serait donné à ce "move" et que des articles lui seraient consacrés...

Et ce type d'exemple est déclinable à l'infini, la majorité des tactiques utilisées fréquemment aujourd'hui existe depuis longtemps. Les joueurs expérimentés maîtrisaient tout un panel de coups pour mystifier leur adversaire. Michel Leibgorin, qui participe aux WSOP depuis de longues années (il a même joué à la table de Stu Ungar) me confiait récemment à propos de toutes les tactiques aux noms barbares évoquées aujourd'hui dans les forums spécialisés "on les pratiquait instinctivement, la seule différence c'est qu'on ne savait pas comment ça s'appelait".

 

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Collection printemps 59 : style serré


En fait ce ne sont pas les tactiques qui ont changé ou qui ont été inventées récemment, mais le poker. Aujourd'hui, les magazines spécialisés se multiplient avec leurs pages stratégiques où les analyses sur les stratégies gagnantes abondent, le nombre de joueurs a été multiplié, Internet a permis à de jeunes compétiteurs de disputer en quelques années plus de mains que de vieux requins en toute une vie et les structures de tournoi n'ont plus rien à voir avec ce qu'elles étaient auparavant. C'est peut-être le point essentiel : tenter un 5-bet light avec quand vous avez 15 grosses blindes n'est pas forcément EV+ pour reprendre un terme à la mode. Aujourd'hui la majorité des tournois sont disputés sur le mode "deepstack" ce qui offre des possibilités beaucoup plus nombreuses aux joueurs créatifs pour tenter de monter des jetons et provoquer des accidents. Quant aux nombreux contrats de sponsoring, ils ont indéniablement offerts aux joueurs pros la possibilité de prendre des risques et de développer un jeu très offensif plus difficile à mettre en place quand l'élimination a de réelles conséquences financières !

 

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Collection vintage : style indeterminé


Donc le style de jeu général a changé et continue d'évoluer en une incessante valse où les nouvelles stratégies rencontrent aussi rapidement qu'elles sont développées des contre-mesures adaptées. Comme le continuation-bet se généralisait, des joueurs imaginatifs se sont soudain mis à varier leur jeu et à "checker behind" leurs bonnes mains. De nombreux sharks checkent dorénavant en position leur paire d'as floppés au lieu d'enchaîner avec la traditionnelle mise de continuation en vigueur jusqu'alors. Dans le même esprit, alors que le 3-bet devenait un coup standard, les plus audacieux ont développé un 4-bet light en parade avant que le 5-bet light n'apparaisse comme le moyen de faire respecter son image et ses sur-relances. Constat identique en ce qui concerne le squeeze, ce "move" est devenu au mileu des années 2000 une arme redoutable dans les mains des joueurs agressifs. La parade est intervenue aussi rapidement qu'une relance avec un tirage : le New York back Raise qui consiste à se contenter de suivre une relance avec un monstre en espérant que le stakhanoviste de la relance assis à votre gauche ne place un 3-bet.

 

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Collection été 72 : style imprévisible


Les exemples de l'inépuisable capacité d'adaptation des meilleurs face aux nouvelles tendances du jeu sont nombreux : alors que quelques théoriciens du poker popularisaient le théorème du yeti (au grand dam des professionnels qui le connaissaient depuis la nuit des temps), des petits malins se sont mis à sur-relancer leur brelan floppé. Constat identique avec ce vieux truc de limper-surelancer sa paire d'as UTG, cette astuce obsolète depuis une vingtaine d'années a d'abord a été utilisée par quelques uns pour tenter un vol qualifié avec une semi-poubelle avant que d'autres petits malins ne se remettent à l'utiliser, certains que cette tactique est devenue si dépassée que personne ne pourra les mettre sur une paire d'as... Et alors que tous les joueurs se mettent à relancer le moindre suited-connector, à sur-relancer avec la première paire de 2 reçue ou à attaquer tous ses 7-2, convaincus que ce ne sont pas les cartes qui importent mais ce que l'on en fait, quelques joueurs de premier plan ont choisi (discrètement, très discrètement, pardon de le révéler) de remettre à l'honneur la bonne vieille stratégie du tight-agressif...

 

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Collection : je suis le roi du monde


Il apparaît ainsi que la grande majorité des bons joueurs connaissant les multiples tactiques qui fleurissent dans l'univers du poker, ce n'est pas le fait de les avoir dans son arsenal qui prévaut mais plutôt de savoir quand et comment les utiliser, sans se soucier des tendances actuelles. Le poker n'a donc pas réellement changé, il suffit toujours de prendre la bonne décision au bon moment et ça, ce feeling, cette capacité d'analyse parfois surréaliste des meilleurs, c'est ce qui fera toujours la différence entre un journaliste qui rédige des articles stratégiques et un génie du poker...



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