Après six semaines de poker et 57 tournois, et en attendant la finale de novembre qui désignera le champion du monde de poker 2009, on peut faire un bilan des 40e World Series of Poker qui viennent de se dérouler à Las Vegas.
Les chiffres
Le premier constat qui s'impose est que la crise mondiale n'aura eu que peu d'impact sur les World Series cette année.
Le prize pool cumulé des 57 événements programmés s'est monté à 174 millions de dollars, un montant très légèrement inférieur à celui de l'année précédente (180,8), mais supérieur à celui de 2007 (159,8).

Salle comble dans l'Amazon Room du Rio
où se tiennent chaque année les WSOP - © IMPDI
Un tiers des tournois ont attiré plus de 1 000 joueurs (18 tournois sur 57) et l'on a même établi de nouveaux records, notamment dans le tournoi réservé au seniors, le plus vaste jamais organisé. Le nombre de participants à l'événement principal, 6 494 joueurs, fût légèrement inférieur à celui de l'année dernière, mais quelques cafouillages lors des inscriptions du dernier jour ont empêché tous ceux qui le souhaitaient de participer. Sans cela, il est très vraisemblable que la participation au Main Event aurait augmenté.
Avec 115 nations représentées, et en franchissant cette année le seuil du milliard de $ reversés aux joueurs en 40 ans, les WSOP ont une fois de plus confirmé leur statut d'événement phare du calendrier du poker mondial.
Les résultats notables
Si, comme chaque année, la prédominance américaine s'est confirmée en 2009, on constate la montée en puissance des joueurs européens : même si les Etats-Unis se sont accaparés 72% du prize pool global, un bracelet sur cinq est tout de même revenu à un joueur européen.
En Europe, trois tournois ont été remportés par des joueurs anglais, mais la Finlande, grâce à Ville Wahlbeck (ci-contre), décroche son tout premier bracelet. Le joueur finlandais peut d'ailleurs se targuer d'un admirable parcours cette année, avec six places payées - dont trois tables finales.
Cette année a d'ailleurs été marquée par les résultats à répétition, avec des apparitions régulières des mêmes joueurs en tables finales et, surtout, quatre joueurs qui se sont adjugés deux ou trois bracelets. D'abord Jeff Lisandro, logiquement désigné "Joueur WSOP de l'année" après ses trois victoires. Une belle revanche pour l'homme au chapeau, qui expliquait n'avoir pas réussi à convaincre un sponsor pour le soutenir aux World Series cette année...
Parmi les autres doublés figurent ceux de John Brock Parker (deux bracelets, six places payées, 806 870 $ de gains), de Greg Mueller (deux bracelets, trois places payées, 709 635 $ de gains) et de Phil Ivey (deux bracelets, cinq places payées, 356 994 $ de gains). Ce dernier, ayant atteint pour la première fois de sa carrière la table finale du Main Event, confirme aux yeux de beaucoup son statut de meilleur joueur du monde.

Phil Ivey, désormais détenteur de sept bracelets WSOP,
sera-t-il champion du monde ?
Comme nous l'avions anticipé, les joueurs russes ont également confirmé leur montée en puissance. Avec 4,3 millions de $ de gains (hors Main Event) et un bracelet, la Russie est bel et bien l'une des nations montantes du poker et se classe au 3e rang des pays affichant le plus de gains, juste derrière le Royaume Uni. Parmi ses représentants, Vitaly Lunkin, totalisant un bracelet, cinq places payées, trois tables finales et le plus gros gain hors Main Event (2,7 millions de $), aura impressionné les observateurs.
Les français
Pour ce qui est des représentants français présents à Vegas, il y aura eu deux temps dans ces World Series.
Pendant l'essentiel de l'événement, les français auront déçu : peu de places payées, de très rares tables finales et, surtout, aucun bracelet, contrairement à l'année dernière. Seul Fabrice Soulier [fondateur de MadeInPoker] se sera illustré par sa régularité, atteignant six places payées avant le Main Event - un record pour la France.

Belle année pour Fabrice "Fabsoul" Soulier :
sept places payées, 203 669 $ de gains
Mais un seul tournoi - le principal - aura suffit pour renverser cette tendance morose - et galvaniser les espoirs des fans tricolores.
Il faut croire en effet que le Main Event 2009 aura donné des ailes aux joueurs français. On aura vu ElkY et Ludovic Lacay s'emparer du leadership au 4e jour du tournoi. On aura constaté qu'une bonne dizaine de nos représentants se battaient avec acharnement pour durer dans ce tournoi inhumain, étalé sur 12 jours. On aura applaudi la belle performance de Ludovic Lacay, finissant 16e du plus gros tournoi du monde et empochant un demi million de $ - le plus gros gain de sa jeune carrière. Et l'on continuera de rêver, pendant encore trois mois, avec la présence de Antoine Saout en table finale - un exploit qu'aucun autre français n'avait accompli depuis 1998.

ElkY, malgré trois places payées et 77 000 $ de gains
échoue encore cette année dans sa course au bracelet

Ludovic Lacay, 500 000 $ de gains au Main Event
Au final, il faudra attendre novembre pour faire les comptes. Mais on peut d'ores et déjà constater que le Main Event aura largement comblé le retard français en matière de gains. Les gains des joueurs français sur le seul Main Event s'élèveront à plus du double de leurs gains cumulés sur le 56 autres tournois des WSOP 2009 ! Un résultat suffisant pour rattraper l'impression de relatif échec pré-Main Event, au point que l'on se souviendra de 2009 comme d'une grande année pour les joueurs français aux WSOP.
Les absents
Si l'on attendait peu de quelques uns des anciens champions du monde, comme Jamie Gold ou Jerry Yang, absents ou inexistants tout au long des Series 2009, on doit la contre-performance la plus notable à Scotty Nguyen. Le flamboyant "prince du poker", qui s'était lui même fixé un objectif démesuré - gagner plus de 4 millions de $ cette année ou arrêter le poker - sera totalement passé à côté de ces WSOP. Paraissant préoccupé et parfois peu dans son assiette, l'ancien champion du monde, vainqueur l'année dernière du prestigieux H.O.R.S.E à 50 000 $, n'aura atteint qu'une seule place payée, empochant la maigre somme de 33 668 $ (à comparer à 2 millions de $ de gains en 2008, et 700 000 $ en 2007).

Qu'est-il arrivé à Scotty ?
Côté français, difficile passage aussi pour Bruno Fitoussi, qui aura sans doute vécu l'une de ses pires années aux WSOP, n'atteignant aucune place payée - chose qui ne lui était pas arrivée depuis cinq ans.

Bruno Fitoussi et Daniel Negreanu lors du H.O.R.S.E
Negreanu, malgré son record de huit places payées,
avouait s'être "grillé le cerveau"
en voulant jouer trop d'événements - 34 au total -,
ratant de peu un bracelet et n'engrangeant que 331 000 $ de gains
Les WSOP 2009 auront par ailleurs marqué - ou renforcé - le distinguo entre gros joueurs online et joueurs de poker live. Il paraît de plus en plus clair que les plus forts joueurs d'Internet, pratiquant au quotidien des limites astronomiques, ne sont plus vraiment attirés par ces vastes tournois, consommateurs de temps et sans doute pas assez rémunérateurs pour eux. En tout état de cause, ils n'y réalisent aucune performance, ou presque. Ainsi, si l'on a vu par moments Patrik Antonius, Tom "Durrrr" Dwan, Ilari "Ziigmund" Sahamies ou les frères Dang participer à quelques tournois des Series, c'était souvent sans conviction - et avec quasiment aucun résultat à la clé. Dans une large mesure, le même constat s'applique à Gus Hansen, l'un des joueurs les plus populaires et les plus titrés du circuit, qui a disputé peu d'événements, avec un manque de motivation évident (à l'exception sans doute de sa belle 9e place dans le H.O.R.S.E à 50 000 $). Si ce désintérêt pour les grands tournois live peut paraître regrettable, il marque une évolution logique dans le monde du poker : les grands joueurs, à quelques exceptions près, auront du mal à s'imposer dans toutes les disciplines, live et online, et tendront à "s'ultra-spécialiser".
En attendant 2010
Au total, et quoi qu'il advienne lors de la finale de novembre, les 40e WSOP auront été un bon cru.
Particulièrement bien organisé, malgré les problèmes du dernier jour d'inscription au Main Event, l'événement aura apporté son lot d'émotions et de champions, tout en confirmant quelques tendances fortes du poker mondial.
Bien sûr, on pourra regretter cette année, comme le souligne le journaliste Benjamin Gallen, un certain manque de fantaisie, des sponsors parfois trop présents, une professionnalisation à outrance du poker... Mais il n'en demeure pas moins que le poker sort renforcé d'un tel événement. De l'avis général, les nouvelles structures de tournois mises en places, notamment sur le Main Event, favorisent le beau jeu et sont une pleine réussite.
Et puis les Series ont cette capacité peu commune de faire s'affronter des joueurs de tous horizons, et l'ont une fois de plus démontré. La table finale du Main Event en est d'ailleurs la parfaite illustration : on y trouve réunis Darvin Moon, un chip leader amateur qui n'avait jamais mis les pieds à Las Vegas auparavant, Antoine Saout, un jeune français qualifié sur Internet pour quelques euros, et Phil Ivey, le joueur considéré comme le meilleur du monde. Finalement, c'est cette alchimie très particulière que réussissent bien les World Series - et qui fait, plus que jamais, tout leur intérêt.

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